La Catalogne vient de déclarer son indépendance. Je vous invite, aujourd’hui et la semaine prochaine, à prendre un pas de recul sur cette situation politique explosive en vous amenant à Barcelone à l’automne 2014. Mais il faudra, pour s’y rendre, passer par chez Toni, un Catalan à Édimbourg…
À l’automne 2013, j’ai soumis un projet de recherche postdoctoral pour lequel j’ai eu une réponse positive de financement le dernier jour d’avril 2014. Devant porter au départ sur une comparaison du rôle de la religion au Québec et en Finlande, l’actualité politique européenne m’a rattrapée : à la radio, à la télé, dans les journaux et les médias sociaux, on entendait régulièrement des reportages et des commentaires sur le référendum écossais à venir et sur la montée marquée du mouvement indépendantiste en Catalogne. En Écosse, le vote était prévu le 18 septembre, tandis que le parlement catalan tentait de son côté de négocier la tenue d’un référendum le 9 novembre. Même si je délaissais pour un temps le rôle historique des « Églises nationales », il s’agissait, pour une Québécoise indépendantiste et anthropologue québéciste, d’une opportunité unique : observer sur le terrain deux consultations sur l’avenir politique de petites nations à l’intérieur d’une même saison.
Pour des raisons professionnelles, l’organisation de mon voyage n’a pu se faire que quelques jours avant le référendum écossais du 18 septembre. Mais quel endroit privilégier? Où était le meilleur endroit pour vivre l’événement? J’étais divisée. Une grande ville ou une petite communauté? L’anthropologue en liberté aime les endroits isolés, hors de la « civilisation ». En même temps, pour appréhender un événement politique d’envergure nationale, la capitale du pays à venir s’avérait intéressante. Après tout, la bataille pour récupérer le parlement écossais, qui a précédé celle pour l’indépendance dans le long processus d’autonomisation de l’Écosse, a abouti et rendu à Édimbourg son statut de véritable capitale. C’est là que siège le gouvernement écossais qui a lancé ce référendum de l’automne 2014. C’est un bon point de départ, surtout quand on ne connaît rien d’un pays. C’est donc à Édimbourg que j’ai décidé de débuter mon périple.
J’ai placé une annonce sur un site de location de chambres pour trouver un endroit où habiter les deux premières semaines. Je ne savais pas combien de temps je resterais en Écosse ni où j’irais après Édimbourg, mais il me serait plus facile d’organiser mon terrain une fois sur place. Je prenais tout l’automne pour faire mon terrain. Je prendrais mes décisions au fur et à mesure, selon les rencontres, les circonstances et surtout les contacts potentiels pour faire avancer ma recherche. Car le nerf de la guerre pendant un terrain de recherche en anthropologie, ce sont les contacts que l’on a sur place, la plupart du temps avant de partir. Via deux ou trois personnes, une famille ou une organisation pertinente comme point de départ, il devient plus facile ensuite de rencontrer des gens qui pourront devenir des informateurs et nous permettre d’avoir une prise sur la réalité sociale dans un nouvel environnement.
Lors de mon terrain de doctorat en Irlande par exemple, j’ai vécu dans une famille qui m’a été référée par un professeur de l’Université de Galway. Cette famille est devenue ma principale source d’informations mais surtout, ce sont les membres de cette famille qui m’ont mise en contact avec d’autres personnes qui, elles aussi, pouvaient me faire rencontrer d’autres gens, et ainsi de suite. Cette méthode, que l’on nomme « boule de neige », car on tisse de cette façon un réseau exponentiel, commande d’avoir quelques informateurs privilégiés au départ. Or, à quelques jours du référendum, alors que je ne connaissais absolument personne en Écosse, il fallait que je me débrouille sans informateur et sans contact. Autrement dit, je partais de zéro. Mais la chance m’a rapidement souri.
Dès le lendemain où j’ai placé l’annonce pour trouver une chambre à louer à Édimbourg, j’ai reçu un message intéressant. Il faut dire que je me suis aidée un peu en spécifiant dans mon message de présentation les raisons qui m’amenaient en Écosse et ce que j’allais y faire. Intéressé par ma démarche, un médecin catalan résidant en Écosse depuis quelques mois et cherchant à louer une chambre dans son appartement, m’a contactée. Au moment même où je prenais son message passait à la première chaine de Radio-Canada un reportage sur les référendums écossais et catalan de l’automne qui comparait ces événements politiques au cas québécois. Portée par un enthousiasme un peu euphorique, j’ai répondu au médecin catalan alors que Michel Desautel et ses invités discutaient Québec-Écosse-Catalogne … les planètes semblaient s’aligner comme pour activer les choses afin que mon projet fonctionne. Ah! La fabuleuse synchronicité jungienne : on ne peut qu’y croire lorsqu’on l’expérimente de façon si spectaculaire.
L’arrangement était parfait pour moi car il me permettait de prendre cette colocation seulement deux semaines, chose rare sur ce site. Mais surtout, il me permettait d’espérer des discussions politiques intéressantes avec mon futur colocataire Barcelonais en Écosse. Quand même, ça ne s’invente pas comme situation!
Québec-Catalogne : deux indépendantistes à Édimbourg
Toni est médecin. Depuis de nombreuses années, il est impliqué dans différents projets de recherche liés à l’Union européenne, surtout en médecine communautaire. Il a fait beaucoup de terrain et il a une grande connaissance de beaucoup de contextes socio-économiques, tant en Europe qu’ailleurs dans le monde. Sa feuille de route est impressionnante. Au fil des jours, il me parlera de certaines de ces expériences de travail dans la Thaïlande post tsunami, dans la Russie de Poutine ou dans les quartiers défavorisés de Manchester.
Il a quitté Barcelone depuis un peu plus de six mois pour prendre la tête d’un centre de recherche à l’Université d’Édimbourg, un poste qui l’a obligé à se relocaliser ici. Sa femme Rosa vient le rejoindre dans quelques jours. Comme tous les résidents de l’Écosse arrivés depuis au moins six mois, Toni aura le droit de se prononcer demain pour l’Indépendance. À l’inverse, les Écossais vivant à l’Extérieur de l’Écosse ne pourront pas voter sur cet enjeu crucial de leur patrie d’origine même s’ils sont ailleurs au Royaume-Uni et même s’ils ont quittés de façon temporaire. Ces règles un peu surprenantes ont quand même été établies par les deux parties. Elles établissent en tout cas clairement la teneur territoriale du mouvement en cours en Écosse.
Au Québec lors du deuxième référendum de 1995, on a beaucoup parlé du processus d’immigration canadien qui a été accéléré pour des milliers de nouveaux arrivants en sol québécois. La Commission Gomery a montré des irrégularités dans ce processus de la part du gouvernement fédéral dans les semaines précédant le Référendum. Car c’est sur la base de l’obtention de la citoyenneté canadienne et non sur une base territoriale, que les nouveaux résidents du Québec pouvaient voter. Et que faut-il faire, en plus d’une masse de paperasse, pour obtenir la citoyenneté canadienne…? Un serment d’allégeance à la couronne britannique.
Faire un pays n’est pas chose simple. Pour les tenants de cette option, les règles du jeu sont complexes. Cependant, la première de ces règles sera toujours de comprendre celles de ses adversaires… (À suivre)
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