Lliures = libres! (Catalogne, deuxième partie)

Manif7N
Avec Pere, un ami de Toni, lors du grand rassemblement indépendandiste, 8 novembre 2014

Depuis la semaine dernière, j’ai arrêté de suivre les actualités de la Catalogne. Depuis qu’elle a déclaré son indépendance et que l’Espagne a répliqué avec une mise sous tutelle de ce gouvernement pourtant légitimement élu, je sais que la (mauvaise) foi de certains commentateurs va me mettre hors de moi et je préfère garder mes énergies.

Observant et décortiquant depuis longtemps le discours des adversaires des projets indépendantistes, je commence à connaître leur chanson : d’abord, ils parlent d’utopie et rigole d’une idée qu’ils considèrent marginale. Ensuite, quand le mouvement semble prendre de l’ampleur, ils tentent de le délégitimer en le dénigrant de toutes sortes de manières. Se drapant dans un discours anti-nationaliste, ils se proclament les gardiens d’une sorte d’idéale démocratique qui serait « ouvert » par rapport aux indépendantistes qui eux,  proposeraient une société « fermée ». Finalement, lorsque, le vent dans les voiles, la vague indépendantiste fait de hauts scores aux élections, ils s’insurgent contre la légalité de la démarche indépendantiste et font peur aux citoyens avec l’instabilité économique potentielle associée à ce projet. En dernier recours, quand le mouvement s’affirme et s’incarne dans une démarche pouvant concrètement mener à la sécession, ils appuient les méthodes fortes du gouvernement central comme la répression policière et l’intimidation judiciaire, admettant du bout des lèvres qu’il est dommage d’’en être rendu là mais transposant tout le poids de l’état des choses sur le mouvement indépendantiste. Au final, dans leur esprit, cette idée ne devrait tout simplement pas exister, comme si les états étaient fixés à tout jamais dans un panthéon politique absolutiste.

Or la vérité est que la carte géopolitique du monde évolue constamment au fil des décennies et que des dizaines de nouveaux pays sont nés depuis la seconde guerre mondiale. Car les frontières ont beaucoup moins de réalité concrète que les peuples de la terre. Ces peuples, avec leur fluidité culturelle, sont les champions de l’évolution et de l’adaptation, et si les frontières passent, eux restent. Par contre, pour exister au plan politique et évoluer selon des normes qu’ils souhaitent établir collectivement, les peuples ont encore besoin d’une forme de structure étatique. L’éclatement des frontières de pays existants sont souvent le résultat des efforts de ces peuples pour obtenir cette structure. Notons qu’il s’agit souvent de défaire ou retracer des frontières qui ont été imposées par la force à différentes époques.

Par contre, un territoire commun, reconnu et habité par des gens, constitue une réalité, un ancrage bien tangible sur lequel baser des règles communes. La proximité représente une dimension tant logique que logistique pour s’organiser. La non-reconnaissance de cette réalité représente un déni de démocratie.

Mais ce déni doit s’inventer toutes sortes de manigances pour cacher des origines justement pas très démocratiques et pour continuer à diffuser des idées qui, d’une certaine manière, sont d’une autre époque : celle des empires. Oh! Les gens ont le droit de penser à cette époque comme d’un âge d’or. Ils ont le droit de ne pas voir que cette « association des peuples et territoires» origine d’une imposition par le haut, d’une prise de contrôle et d’une centralisation forcée des règles communes. Toute les démarches politiques qui ont fondé et centralisé l’Espagne, la Grande-Bretagne et le Canada ont eu recours à la force. Les gens ont le droit de penser que ces pays ne devrait pas être divisés à nouveau (car dans tous les cas, ils l’ont déjà été). La question n’est pas là. La question est : est-ce qu’on peut en discuter?

C’est précisément à cela que s’oppose de façon spectaculaire l’Espagne de Mariano Rajoy. Depuis des années, les Catalans tentent de faire évoluer leur situation politique dans les cadres légales définis par Madrid. Avec une patience d’ange, avec une détermination constante et avec une dignité sans faille, une grande partie de la société civile catalane a organisé des structures de discussion qui ont fait bouger les partis politiques. Car le mouvement indépendantiste catalan vient de la base, et à partir de cette base, il monte vers le « haut » de la pyramide du pouvoir. Or, même si plusieurs partis ont été influencés par cette vague, le sentiment d’être catalan et de vouloir développer ce territoire catalan est une vérité qui émane d’abord du peuple catalan. Et cette manière d’être, de penser et d’agir, je l’ai constaté de mes yeux et de mes oreilles à l’automne 2014, au moment où j’ai passé un mois à Barcelone pendant ce moment crucial de la consultation populaire sur l’indépendance. Les Catalans ont pris tous les moyens à leur disposition pour faire évoluer leur situation politique. Grâce à mon ami Toni, mon coloc temporaire à Édimbourg dont j’ai parlé la semaine dernière, j’ai rencontré des gens impliqués depuis des années dans le mouvement indépendantiste, des gens de différentes allégeances politiques sur le spectre gauche-droite mais qui s’entendaient sur le fait que la Catalogne serait mieux servie par un parlement à Barcelone qui ne serait pas entravé dans ses décisions par celui de Madrid, dont les intérêts sont différents. Mais ça, en tant que gouvernement central, Madrid ne peut l’admettre. L’Espagne ne voit que l’Espagne comme possibilité étatique. Voilà pourquoi la discussion n’est pas possible. Et voilà pourquoi aussi les politiciens catalans ayant déclaré l’indépendance sont maintenant formellement accusés de sédition et de rébellion. On veut les emprisonner! Si cela s’avère, l’Espagne aurait dans ses prisons une masse de prisonniers politiques n’ayant posé aucun bombe ni commis d’acte violent. Juste des politiciens élus qui, par des moyens démocratiques, ont mené à bien une cause portée par une grande partie du peuple. Mais dans l’optique espagnole, déroger à la manière de faire de l’organisation centrale (la leur) est impensable. Et le système de justice, qui doit normalement être indépendant du gouvernement, suit de très près les politiques de Rajoy qui, franchement, laisse de plus en plus paraître les relents franquistes de son jupon sous sa jupe supposément démocratique.

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Un homme âgé  du quartier populaire Poblenou à Barcelone votant pour la première fois pour l’Indépendance lors de la consultaion du 9 novembre 2014

On a beau rêver d’un monde sans frontières, nous en sommes encore loin et la centralisation des décisions dans un grand ensemble n’est pas une démarche menant à l’unité des peuples mais bien, la plupart du temps, une façon de faire en sorte que moins de gens décident et donc, une structure qui concentre le pouvoir dans le moins de mains possibles. Des mains qui serrent d’ailleurs trop souvent celles des véritables meneurs, ceux qui sont au-delà, c’est-à-dire en haut, de cette pyramide politique. Mais ça, c’est une autre histoire dont on ne parlera pas aujourd’hui… Reste à voir maintenant de quel côté l’Union européenne penchera en tant que stucture politique…

Comme je l’ai dit la semaine dernière, devenir un pays n’est pas chose simple : pour les tenants de cette option, les règles du jeu sont complexes. Cependant, la  première sera toujours de comprendre celles de ses adversaires… C’est un peu de cela que j’ai voulu parler aujourd’hui. Ce blogue n’en est pas un d’actualité. Mais aujourd’hui, je triche un peu. Car la situation est exceptionnelle, comme l’est celle du parlement catalan et, comme lui, il faut parfois contourner les règles pour mieux se définir.

Pour aller plus loin, lire cet article aujourd’hui dans le Devoir


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